Aujourd’hui, je voudrais vous parler de deux choses.
Premièrement, comment j’ai pu comprendre l’importance de l’outil « évènement indésirable » à travers une situation vécue.
Deuxièmement, pourquoi le mot « indésirable » fait réellement du tort à un système de retour d’expérience.
Une erreur d’administration médicamenteuse
On le sait tous : fatalement, les erreurs médicales tuent chaque année des milliers de patient et de passion, le soignant étant la deuxième victime. La plus commune d’entre elles, c’est l’erreur d’administration médicamenteuse.
Cet évènement indésirable, je l’ai vécu il y a maintenant 2 ans. Je l’ai déclaré et pourtant, j’ai eu la malchance de le vivre de nouveau il y a 3 semaines, dans la même situation et pour le même médicament.
Il y a 2 ans…
9h : je suis sur l’induction de 2 salles et je travaille avec un vieil interne qui procède à l’induction d’une des deux salles (salle 10). Avant de démarrer mon induction (salle 9), l’interne vient me chercher, l’air bouleversé en me disant que le patient fait un choc anaphylactique. Je dis à l’équipe de ma salle de patienter et je le suis immédiatement.
Le patient présente une tachycardie et hypertension artérielle. Je suggère à l’interne que ce n’est pas un choc anaphylactique devant l’hypertension artérielle. Il me dit alors qu’il était bradycarde après l’induction et qu’ils ont fait de l’atropine. Alors, le tableau initial était donc bradycardie et hypertension : je pense immédiatement à l’injection d’un vasopresseur et plus particulièrement de noradrénaline. On me dit évidemment que personne n’a injecté de noradrénaline. Mais nous fouillons la poubelle et ne retrouvons pas l’ampoule de dexaméthasone que l’on pense avoir utilisé. A la place, on retrouve bien une ampoule de noradrénaline.
Le diagnostic fait, nous pouvons traiter le patient qui ne gardera aucune séquelle de cette erreur. Nous analysons cet évènement (l’étudiant qui avait préparé les drogues se sent abattu) et le déclarons. Le patient sera bien entendu mis au courant.
Il y a 3 semaines.
8h30 : Appel pour tachycardie ventriculaire dans le même contexte (induction sur deux salles). A mon arrivée, le patient est hypertendu et la tachycardie bien tolérée. Je pose immédiatement le diagnostic, saute sur un médicament hypotenseur, appelle à l’aide et demande le chariot d’urgence. Je saute également sur la poubelle et j’y trouve la noradrénaline. Aucune séquelle de nouveau, par chance, et surtout grâce à mon vécu d’il y a 2 ans.
Une fois ENCORE, nous pensions injecter de la dexaméthasone et non de la noradrénaline. Alors cette fois-ci, direction la pharmacie car les ampoules se ressemblent trop. Nous décidons de changer le format de nos ampoules de dexaméthasone puisqu’il en existe d’autres, qui nous seront même encore plus pratique à utiliser.
En revenant de la pharmacie, je discute avec des collègues et je suis subjugué…
« Ah oui, ça a failli m’arriver ! » « Ah oui, cela m’est arrivé » « Ah oui, je connais quelqu’un qui… ».
Personne n’a déclaré son risque d’erreur ou son erreur. Pourquoi ? Parce que c’est trop long, parce que le système est fastidieux, ou parce que le patient n’a rien eu… ou alors, j’ai une autre idée (voir le dernier paragraphe)
Il faut retenir de cela que si nous déclarons, c’est pour éviter que demain, notre collègue, nous raconte en pleur l’accident qui lui est arrivé. Nous pouvons mettre des choses en place, alerter pour que cela n’arrive pas aux autres patients et soignants. A chaque fois que vous faites une erreur, vous devriez pouvoir faire un retour de celle-ci pour éviter que quelqu’un d’autre ne la commette. Ne vous sentez pas stupide. Cela a pour but d’améliorer notre future perception des choses.
Quand notre langage oriente nos pensées
Aujourd’hui j’ai lu et puis j’ai visionné une vidéo de Lera Boroditsky, professeure dans les domaines du langage et de la cognition.
Dans cette vidéo, elle nous montre que le langage façonne notre pensée. Ainsi, quand on montre la photo suivante à un anglo-saxon ou à un hispanique, elle est décrite différemment.
Les hispaniques diront de cette image « le vase est cassé » alors que les anglo-saxons diront plus facilement « Jon a cassé le vase ». Et cela compte énormément puisque l’on voit tout de suite l’impact que cela peut avoir dans l’analyse des situations que nous vivons. Une description s’attache aux faits alors que l’autre se porte sur le qui.
Cela va même beaucoup plus loin si l’on montre deux vidéos à des sujets anglo-saxons et hispaniques :
La première vidéo montre un homme qui crève volontairement un ballon tandis que la deuxième montre un autre homme qui le crève suite à un mauvais geste (involontairement).
On demande ensuite aux sujets testés de retrouver le visage des deux hommes et voici les résultats.
Dans le cas du ballon crevé volontairement, les deux populations se souviennent très bien du visage de l’homme. Dans le cas du ballon crevé involontairement, les anglo-saxons mémorisent beaucoup plus facilement le visage de l’homme qui a crevé le ballon
Le fait d’avoir un langage qui utilise la voix active comme les anglo-saxons nous pousse à mettre le sujet en avant et nous mémorisons ainsi beaucoup plus facilement le qui plutôt que le quoi.
On le sait pourtant, dans l’analyse d’un évènement, le QUI importe peu et vous l’avez bien vu pour mon anecdote : quand on rapporte son histoire, d’autres l’ont vécu alors ce n’est pas une question de personne mais de process.
Voici le lien vers l’étude dont je viens de vous parler
L’évènement indésirable : un mauvais choix ?
On voit donc l’importance des mots. Dans ce paragraphe, j’aimerais vous faire réfléchir à une chose sur laquelle je me questionne. J’aimerais être lu par des soignants mais aussi des personnes travaillant à l’ARS, des qualiticiens.
Pourquoi les gens ne déclarent pas ? Faites comme moi, demandez leur : « j’ai peur que… » « c’est gonflant, pénible »
Si vous regardez dans le dictionnaire, ces trois derniers mots sont synonymes du mot « indésirable ».
En fait, les gens qui ne déclarent pas d’évènement indésirable ont tout juste. Ils appliquent ce que leur dicte notre langue.
On a peur de l’indésirable. L’indésirable c’est pénible, gonflant. En tout cas, c’est quelque chose qui est perçu très négativement.
Nous avons conçu un système très utile pour faire du retour d’expérience et nous lui avons collé un nom qui ne représente pas du tout le potentiel et le rôle de l’outil.
Vous mangeriez une magnifique glace sur la plage si elle s’appelait « la dégoulinante » ?
Pour aller plus loin, je pense même que nous conditionnons les déclarants à être négatif lorsqu’il rapporte leur vécu.
Alors voici mon point de la semaine : on aimerait voir de l’objectivité dans les déclarations d’évènements mais le titre même « d’évènement indésirable » appelle à de la négativité : il FAUT avoir vécu quelquechose d’indésirable, de très négatif à déclarer.
Ma question est simple : pourquoi ne pas changer l’appellation de ces retours d’expériences ?
Venez découvrir comment le retour d’expérience nous fait avancer, grâce à notre formation.
Bonne semaine à tous,